Aller au contenu

Page:De Staël – La Révolution française, Tome I.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
CONSIDÉRATIONS

du roi ; mais à peine purent-ils arriver aussi vite à la frontière que M. Necker lui-même. Madame Necker fut sa seule confidente ; elle partit au sortir de son salon, sans aucun préparatif de voyage, avec les précautions que prendroit un criminel pour échapper à sa sentence ; et cette sentence si redoutée, c’étoit le triomphe que le peuple préparoit à M. Necker, s’il avoit voulu s’y prêter. Deux jours après son départ, dès que sa disgrâce fut connue, les spectacles furent fermés comme pour une calamité publique. Tout Paris prit les armes ; la première cocarde que l’on porta fut verte, parce que c’étoit la couleur de la livrée de M. Necker ; on frappa des médailles à son effigie ; et, s’il s’étoit rendu à Paris, au lieu de sortir de France par la frontière la plus rapprochée, celle de Flandre, on ne peut pas assigner de terme à l’influence qu’il auroit acquise.

Certainement, le devoir lui commandoit d’obéir à l’ordre du roi : mais quel est celui qui, tout en obéissant, ne se seroit pas laissé reconnoître, ne se seroit pas laissé ramener malgré lui par la multitude ? L’histoire n’offre peut-être pas d’exemple d’un homme évitant le pouvoir avec le soin qu’on mettroit à fuir la