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CONSIDÉRATIONS

toujours il étoit entouré d’une force françoise assez considérable pour être le maître de ses alliés. En 1791, le système de l’émigration étoit faux et condamnable, car une poignée de François se perdoit au milieu de toutes les baïonnettes de l’Europe. Il y avoit d’ailleurs encore beaucoup de moyens de s’entendre en France entre soi ; des hommes très-estimables étoient à la tête du gouvernement, des erreurs en politique pouvoient être réparées, et les meurtres judiciaires n’avoient point encore été commis.

Loin que l’émigration ait maintenu la considération de la noblesse, elle y a porté la plus forte atteinte. Une génération nouvelle s’est élevée pendant l’absence des gentilshommes ; et, comme cette génération a vécu, prospéré, triomphé sans les privilégiés, elle croit encore pouvoir exister par elle-même. Les émigrés, d’autre part, vivant toujours dans le même cercle, se sont persuadé que tout étoit rébellion hors de leurs anciennes habitudes ; ils ont pris ainsi par degrés le même genre d’inflexibilité qu’ont les prêtres. Toutes les traditions politiques sont devenues à leurs yeux des articles de foi, et ils se sont fait des dogmes des abus. Leur attachement à la famille royale, dans son malheur, est très-digne de respect ; mais