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CONSIDÉRATIONS

Bonaparte, lorsqu’il disposoit d’un million d’hommes armés, n’en attachoit pas moins d’importance à l’art de guider l’esprit public par les gazettes ; il dictoit souvent lui-même des articles de journaux qu’on pouvoit reconnaître aux saccades violentes du style ; on voyoit qu’il auroit voulu mettre dans ce qu’il écrivoit des coups au lieu de mots. Il a dans tout son être un fonds de vulgarité que le gigantesque même de son imagination ne sauroit toujours cacher. Ce n’est pas qu’il ne sache très-bien, un jour donné, se montrer avec beaucoup de convenance ; mais il n’est à son aise que dans le mépris pour les autres ; et, dès qu’il peut y rentrer, il s’y complaît. Toutefois, ce n’étoit pas uniquement par goût qu’il se livroit à faire servir, dans ses notes du Moniteur, le cynisme de la révolution au maintien de sa puissance. Il ne permettoit qu’à lui d’être jacobin en France. Mais, lorsqu’il inséroit dans ses bulletins des injures grossières contre les personnes les plus respectables, il croyoit ainsi captiver la masse du peuple et des soldats, en se rapprochant de leur langage et de leurs passions, sous la pourpre même dont il étoit revêtu.

On ne peut arriver à un grand pouvoir qu’en mettant à profit la tendance de son siècle : aussi