Page:De Staël – La Révolution française, Tome II.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
355
SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

champ de bataille, après la victoire, ont fait détester les François bien plus que ces pauvres braves conscrits qui passoient de l’enfance a la mort, en croyant défendre leur patrie. C’est aux hommes profonds dans l’art militaire qu’il appartient de prononcer sur les talens de Bonaparte comme capitaine. Mais, à ne juger de lui sous ce rapport que par les observations à la portée de tout le monde, il me semble que son ardent égoïsme a peut-être contribué à ses premiers triomphes comme à ses derniers revers. Il lui manquoit dans la carrière des armes, aussi bien que dans toutes les autres, ce respect pour les hommes, et ce sentiment du devoir, sans lesquels rien de grand n’est durable.

Bonaparte, comme général, n’a jamais ménagé le sang de ses troupes : c’est en prodiguant la foule des soldats que la révolution lui avoit valus, qu’il a remporté ses étonnantes victoires. Il a marché sans magasins, ce qui rendoit ses mouvemens singulièrement rapides, mais doubloit les maux de la guerre pour les pays qui en étoient le théâtre. Enfin, il n’y a pas jusqu’à son genre de manœuvres militaires qui ne soit en rapport quelconque avec le reste de son caractère ; il risque toujours le tout pour le tout,