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CONSIDÉRATIONS

encore vivante. Un intrépide maréchal, couvert de blessures, et impatient d’en recevoir encore, demandoit pour son hôtel un lit tellement chargé de dorures et de broderies, qu’on ne pouvoit trouver dans tout Paris de quoi satisfaire son désir : Eh bien, dit-il alors, dans sa mauvaise humeur, donnez-moi une botte de paille, et je dormirai très-bien dessus. En effet, il n’y avoit point d’intervalle pour ces hommes, entre la pompe des Mille et une Nuits, et la vie rigide à laquelle ils étoient accoutumés.

Il faut accuser encore Bonaparte d’avoir altéré le caractère françois, en le formant aux habitudes de dissimulation dont il donnoit l’exemple. Plusieurs chefs militaires sont devenus diplomates à l’école de Napoléon, capables de cacher leurs véritables opinions, d’étudier les circonstances et de s’y plier. Leur bravoure est restée la même, mais tout le reste a changé. Les officiers attachés de plus près à l’empereur, loin d’avoir conservé l’aménité françoise, étoient devenus froids, circonspects, dédaigneux ; ils saluoient de la tête, parloient peu, et sembloient partager le mépris de leur maître pour la race humaine. Les soldats ont toujours des mouvemens généreux et naturels ; mais la doctrine de l’obéissance passive, que des partis