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CORINNE OU L’ITALIE

d’alliance entre les pères et les enfans, entre la mort et la vie… Approchez-vous de moi !… que je vous aperçoive encore, que la bénédiction d’un serviteur de Dieu soit sur vous… Il meurt…… Ô ! les anges du ciel, recevez son ame, et laissez-nous sur la terre le souvenir de ses actions, le souvenir de ses pensées, le souvenir de ses espérances. »[1]

L’émotion d’Oswald et de Corinne avait souvent interrompu cette lecture. Enfin ils furent forcés d’y renoncer. Corinne craignait pour Oswald l’abondance de ses pleurs. Elle était bouleversée de l’état où elle le voyait, et elle ne s’apercevait pas qu’elle-même était aussi troublée que lui. — Oui, lui dit Oswald en lui tendant la main, oui, chère amie de mon cœur, tes larmes se sont confondues avec les miennes. Tu le pleures avec moi, cet ange tutélaire dont je sens encore le dernier embrassement, dont je vois encore le noble regard ; peut-être est-ce toi qu’il a choisie pour me consoler peut-être… — Non, non, s’écria Corinne, non, il ne m’en a pas crue digne. — Que dites-vous, interrompit Oswald ? — Corinne eut peur d’avoir révélé ce qu’elle voulait cacher, et répéta ce qui venait de lui échapper, en disant seulement, il ne m’en croirait pas digne ! — Ce mot changé dissipa

  1. Je me suis permis d’emprunter ici quelques passages du Discours sur la Mort, qui se trouve dans le Cours de Morale religieuse par M. Necker. Un autre ouvrage de lui, l’Importance des Opinions religieuses, ayant eu le plus éclatant succès, on le confond quelquefois avec celui-ci, qui parut dans des temps où l’attention était distraite par les événemens politiques. Mais j’ose affirmer que le Cours de Morale religieuse est le plus éloquent ouvrage de mon père. Aucun ministre d’état, je crois, avant lui, n’avait composé des ouvrages pour la chaire chrétienne ; et ce qui doit caractériser ce genre d’écrit fait par un homme qui a tant eu affaire avec les hommes, c’est la connaissance du cœur humain et l’indulgence que cette connaissance inspire : il semble donc que, sous ces deux rapports, le Cours de Morale est complètement original. Les hommes religieux, d’ordinaire, ne vivent pas dans le monde ; les hommes du monde, pour la plupart, ne sont pas religieux : où serait-il donc possible de trouver à ce point l’observation de la vie et l’élévation qui en dégage ? Je dirai, sans craindre qu’on attribue mon opinion à mon sentiment, que, parmi les écrits religieux, ce livre est l’un des premiers qui consolent l’être sensible et intéressent les esprits qui réfléchissent sur les