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Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome I, 1807.djvu/353

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CORINNE OU L’ITALIE

conduits par des palefreniers très-bien vêtus, qui mettent à leurs succès un intérêt passionné. On place les chevaux derrière la barrière, et leur ardeur pour la franchir est excessive. À chaque instant on les retient : ils se cabrent, ils hennissent, ils trépignent comme s’ils étaient impatiens d’une gloire qu’ils vont obtenir à eux seuls, sans que l’homme les dirige. Cette impatience des chevaux, ces cris des palefreniers font, du moment où la barrière tombe, un vrai coup de théâtre. Les chevaux partent, les palefreniers crient place, place, avec un transport inexprimable. Ils accompagnent leurs chevaux du geste et de la voix aussi long-temps qu’ils peuvent les apercevoir. Les chevaux sont jaloux l’un de l’autre comme des hommes. Le pavé étincelle sous leurs pas, leur crinière vole, et leur désir de gagner le prix, ainsi abandonnés à eux-mêmes, est tel, qu’il en est qui, en arrivant, sont morts de la rapidité de leur course. On s’étonne de voir ces chevaux libres, ainsi animés par des passions personnelles ; cela fait peur, comme si c’était de la pensée sous cette forme d’animal. La foule rompt ses rangs quand les chevaux sont passés, et les suit en tumulte. Ils arrivent au palais de Venise, où est le but. Et il faut entendre les exclamations des palefre-