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CORINNE OU L’ITALIE

moines qui habitent ce couvent les montrent avec empressement ; ils ne tiennent plus au monde que par l’intérêt qu’ils prennent aux ruines. La manière de vivre des Chartreux suppose, dans les hommes qui sont capables de la mener, ou un esprit extrêmement borné, ou la plus noble et la plus continuelle exaltation des sentimens religieux ; cette succession de jours sans variété d’événemens rappelle ce vers fameux :

Sur les mondes détruits le Temps dort immobile.

Il semble que la vie ne serve là qu’à contempler la mort. La mobilité des idées, avec une telle uniformité d’existence, serait le plus cruel des supplices. Au milieu du cloître s’élèvent quatre cyprès. Cet arbre noir et silencieux, que le vent même agite difficilement, n’introduit pas le mouvement dans ce séjour. Près des cyprès il y a une fontaine d’où sort un peu d’eau que l’on entend à peine, tant le jet en est faible et lent ; on dirait que c’est la clepsydre qui convient à cette solitude, où le temps fait si peu de bruit. Quelquefois la lune y pénètre avec sa pâle lumière, et son absence et son retour sont un événement dans cette vie monotone.

Ces hommes qui existent ainsi sont pourtant les mêmes à qui la guerre et toute son activité