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CORINNE OU L’ITALIE

La foule se promenait dans les rues ; des marionnettes et des charlatans formaient des groupes sur la place où s’élève la colonne Antonine. Toute l’attention d’Oswald fut captivée par les objets les plus près de lui. Le nom de Rome ne retentissait point encore dans son ame ; il ne sentait que le profond isolement qui serre le cœur quand vous entrez dans une ville étrangère, quand vous voyez cette multitude de personnes à qui votre existence est inconnue, et qui n’ont aucun intérêt en commun avec vous. Ces réflexions, si tristes pour tous les hommes, le sont encore plus pour les Anglais qui sont accoutumés à vivre entre eux, et se mêlent difficilement avec les mœurs des autres peuples. Dans le vaste caravansérail de Rome, tout est étranger, même les Romains qui semblent habiter là, non comme des possesseurs, mais comme des pélerins qui se reposent auprès des ruines[1]. Oswald, oppressé par des sentimens pénibles, alla s’enfermer chez lui, et ne sortit point pour voir la ville. Il était bien loin de penser que ce pays, dans lequel il entrait avec un tel sentiment d’abattement et de tristesse, serait bientôt pour lui la source de tant d’idées et de jouissances nouvelles.

  1. Cette réflexion est puisée dans une épître sur Rome, de M.  de Humboldt, frère du célèbre voyageur, et ministre de Prusse à Rome. Il est difficile de rencontrer nulle part un homme dont l’entretien et les écrits supposent plus de connaissances et d’idées.