Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome I, 1807.djvu/6

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tances cruelles, des remords inspirés par des scrupules délicats aigrissaient encore ses regrets, et l’imagination y mêlait ses fantômes. Quand on souffre, on se persuade aisément que l’on est coupable, et les violens chagrins portent le trouble jusques dans la conscience.

À vingt-cinq ans il était découragé de la vie ; son esprit jugeait tout d’avance, et sa sensibilité blessée, ne goûtait plus les illusions du cœur. Personne ne se montrait plus que lui complaisant et dévoué pour ses amis quand il pouvait leur rendre service ; mais rien ne lui causait un sentiment de plaisir, pas même le bien qu’il faisait ; il sacrifiait sans cesse et facilement ses goûts à ceux d’autrui ; mais on ne pouvait expliquer par la générosité seule cette abnégation absolue de tout egoïsme ; et l’on devait souvent l’attribuer au genre de tristesse qui ne lui permettait plus de s’intéresser à son propre sort. Les indifférens jouissaient de ce caractère, et le trouvaient plein de grâce et de charmes ; mais quand on l’aimait, on sentait qu’il s’occupait du bonheur des autres comme un homme qui n’en espérait pas pour lui-même ; et l’on était presque affligé de ce bonheur qu’il donnait sans qu’on pût le lui rendre.

Il avait cependant un caractère mobile, sen-