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CORINNE OU L’ITALIE.

parlais ; mais dès que j’étais partie, ce que j’avais dit ne laissait aucune trace ; car les idées habituelles rentraient aussitôt dans les têtes de mes auditeurs, et ils recevaient avec un nouveau plaisir ces anciennes connaissances que j’avais un moment écartées.

Une femme beaucoup plus spirituelle que les autres, bien qu’elle se fût conformée en tout extérieurement à la vie commune, me prit à part un jour que j’avais parlé avec encore plus de vivacité qu’à l’ordinaire, et me dit ces paroles qui me firent une impression profonde : — Vous vous donnez beaucoup de peine, ma chère, pour un résultat impossible : vous ne changerez pas la nature des choses ; une petite ville du nord, sans rapport avec le reste du monde, sans goût pour les arts ni pour les lettres, ne peut être autrement qu’elle n’est : si vous devez vivre ici, soumettez-vous ; allez-vous-en, si vous le pouvez ; il n’y a que ces deux partis à prendre. — Ce raisonnement n’était que trop évident ; je me sentis pour cette femme une considération que je n’avais pas pour moi-même ; car, avec des goûts assez analogues aux miens, elle avait su se résigner à la destinée que je ne pouvais supporter ; et tout en aimant la poésie et les jouissances idéales, elle jugeait mieux la