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CORINNE OU L’ITALIE.

de fête est abandonné au peuple, tandis que les grands de l’état sont toujours voués au deuil. Dans la plupart des villes européennes il faut que l’imagination des écrivains écarte soigneusement ce qui se passe tous les jours, parce que nos usages, et même notre luxe, ne sont pas poétiques. Mais à Venise rien n’est vulgaire en ce genre : les canaux et les barques font un tableau pittoresque des plus simples événemens de la vie.

Sur le quai des Esclavons l’on rencontre habituellement des marionnettes, des charlatans ou des raconteurs qui s’adressent de toutes les manières à l’imagination du peuple ; les raconteurs surtout sont dignes d’attention : ce sont ordinairement des épisodes du Tasse et de l’Arioste qu’ils récitent en prose, à la grande admiration de ceux qui les écoutent. Les auditeurs, assis en rond autour de celui qui parle, sont pour la plupart à demi vêtus, immobiles par excès d’attention ; on leur apporte de temps en temps des verres d’eau, qu’ils paient comme du vin ailleurs, et ce simple rafraîchissement est tout ce qu’il faut à ce peuple pendant des heures entières, tant son esprit est occupé. Le raconteur fait des gestes les plus animés du monde ; sa voix est haute, il se fâche, il se pas-