Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/392

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homme qui a consacré ses jours à la plaisanterie, et n’a rien éprouvé, sur la terre, de sérieux que la mort ; Bocace, dont l’imagination riante a résisté aux fléaux réunis de la guerre civile et de la peste ; un tableau en l’honneur du Dante, comme si les Florentins, qui l’ont laissé périr dans le supplice de l’exil, pouvaient encore se vanter de sa gloire[1] ; enfin, plusieurs autres noms honorables se font aussi remarquer dans ce lieu ; des noms célèbres pendant leur vie, mais qui retentissent plus faiblement de générations en générations, jusques à ce que leur bruit s’éteigne entièrement[2].

La vue de cette église, décorée par de si nobles souvenirs, réveilla l’enthousiasme de Corinne : l’aspect des vivans l’avait découragée, la présence silencieuse des morts ranima, pour un moment du moins, cette émulation de gloire dont elle était jadis saisie ; elle marcha d’un pas plus ferme dans l’église, et quelques pensées d’autrefois traversèrent encore son ame ; elle vit venir sous les voûtes des jeunes prêtres qui chantaient à voix basse et se promenaient lentement autour du chœur ; elle demanda à l’un d’eux ce que signifiait cette cérémonie : Nous prions pour nos morts, lui répondit-il. — Oui, vous avez raison, pensa Corinne, de les appe-

  1. Après la mort du Dante, les Florentins, honteux de l’avoir laissé périr loin de son séjour natal envoyèrent une députation au pape, pour le prier de leur rendre ses restes ensevelis à Ravenne ; mais le pape s’y refusa, trouvant avec raison que le pays qui avait donné asile à l’exilé, était devenu sa patrie, et ne voulant point se dessaisir de la gloire attachée à posséder son tombeau.
  2. Alfieri dit que ce fut en se promenant dans l’église Santa-Croce, qu’il sentit, pour la première fois, l’amour de la gloire ; et c’est là qu’il est enseveli. L’épitaphe qu’il avait composée d’avance pour sa respectable amie madame la comtesse d’Albany et pour lui, est la plus touchante et la plus simple expression d’une amitié longue et parfaite.