Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/403

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Que les hommes sont heureux d’aller à la guerre, d’exposer leur vie, de se livrer à l’enthousiasme de l’honneur et du danger ! Mais il n’y a rien au dehors qui soulage les femmes ; leur existence, immobile en présence du malheur, est un bien long supplice !

Quelquefois, quand j’entends la musique, elle me retrace les talens que j’avais, le chant, la danse et la poésie ; il me prend alors envie de me dégager du malheur, de reprendre à la joie : mais tout à coup un sentiment intérieur me fait frissonner, on dirait que je suis une ombre qui veut encore rester sur la terre, quand les rayons du jour, quand l’approche des vivans, la forcent à disparaître.

Je voudrais être susceptible des distractions que donne le monde ; autrefois je les aimais, elles me faisaient du bien : les réflexions de la solitude me menaient trop loin et trop avant ; mon talent gagnait à la mobilité de mes impressions. Maintenant j’ai quelque chose de fixe dans le regard, comme dans la pensée : gaieté, grâce, imagination, qu’êtes-vous devenus ? Ah ! je voudrais, ne fût-ce que pour un moment, goûter encore de l’espérance ! Mais c’en est fait, le désert est inexorable, la goutte d’eau comme la rivière sont taries, et