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CORINNE OU L’ITALIE.

des montagnes plaisait à lord Nelvil ; il semble, dans les pays de plaines, que la terre n’ait d’autre but que de porter l’homme et de le nourrir ; mais, dans les contrées pittoresques, on croit reconnaître l’empreinte du génie du Créateur et de sa toute-puissance. L’homme cependant s’est familiarisé partout avec la nature, et les chemins qu’il s’est frayés gravissent les monts et descendent dans les abîmes. Il n’y a plus pour lui rien d’inaccessible, que le grand mystère de lui-même.

En entrant dans la Maurienne, l’hiver devint à chaque pas plus rigoureux. On eût dit qu’on avançait vers le nord en s’approchant du Mont-Cenis : Lucile, qui n’avait jamais voyagé, était épouvantée par ces glaces qui rendent les pas des chevaux si peu sûrs. Elle cachait ses craintes aux regards d’Oswald, mais se reprochait souvent d’avoir emmené sa petite fille avec elle ; souvent elle se demandait si la moralité la plus parfaite avait présidé à cette résolution, et si le goût très-vif qu’elle avait pour cette enfant, et l’idée aussi qu’elle était plus aimée d’Oswald, en se montrant à lui toujours avec Juliette, ne l’avait pas distraite des périls d’un si long voyage. Lucile était une personne très-timorée, et qui fatiguait souvent son ame à