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MOLL FLANDERS

ment, et de façon si détaillée, que je commençai à me sentir très troublée ; mais lorsqu’elle arriva à une circonstance particulière qui l’obligeait à me dire son nom, je pensai m’évanouir sur place ; elle vit que j’étais en désordre, et me demanda si je ne me sentais pas bien et ce qui me faisait souffrir. Je lui dis que j’étais si affectée de la mélancolique histoire qu’elle avait dite, que l’émotion avait été trop forte pour moi, et je la suppliai de ne m’en plus parler.

— Mais, ma chérie, dit-elle très tendrement, il ne faut nullement t’affliger de ces choses. Toutes ces aventures sont arrivées bien avant ton temps, et elles ne me donnent plus aucune inquiétude ; oui, et je les considère même dans mon souvenir avec une satisfaction particulière, puisqu’elles ont servi à m’amener jusqu’ici.

Puis elle continua à me raconter comment elle était tombée entre les mains d’une bonne famille, où, par sa bonne conduite, sa maîtresse étant morte, son maître l’avait épousée, et c’est de lui qu’elle avait eu mon mari et ma sœur ; et comment, par sa diligence et son bon gouvernement, après la mort de son mari, elle avait amélioré les plantations à un point qu’elles n’avaient pas atteint jusque-là, si bien que la plus grande partie des terres avaient été mises en culture par elle, non par son mari ; car elle était veuve depuis plus de seize ans.

J’écoutai cette partie de l’histoire avec fort peu d’attention par le grand besoin que j’éprouvais de me retirer et de laisser libre cours à mes passions ; et qu’on juge quelle dut être l’angoisse de mon esprit quand je vins à réfléchir que cette femme n’était ni plus ni moins que ma propre mère, et que maintenant j’avais eu deux enfants, et que