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MOLL FLANDERS

s’étant fiée à de sots racontars, l’avait grossie de 500 à 5 000 livres, et dans le moment que nous arrivâmes dans son pays, elle en avait fait 15 000 livres. L’Irlandais, car tel je l’entendis être, courut sur l’appât comme un forcené ; en somme, il me fit la cour, m’envoya des cadeaux, s’endetta comme un fou dans les dépenses qu’il fit pour me courtiser ; il avait, pour lui rendre justice, l’apparence d’un gentilhomme d’une élégance extrême ; il était grand, bien fait, et d’une adresse extraordinaire ; parlait aussi naturellement de son parc et de ses écuries, de ses chevaux, ses gardes-chasses, ses bois, ses fermiers et ses domestiques, que s’il eût été dans un manoir et que je les eusse vus tous autour de moi.

Il ne fit jamais tant que me demander rien au sujet de ma fortune ou de mon état ; mais m’assura que, lorsque nous irions à Dublin, il me doterait d’une bonne terre qui rapportait 600 livres par an, et qu’il s’y engagerait en me la constituant par acte ou par contrat, afin d’en assurer l’exécution.

C’était là, en vérité, un langage auquel je n’avais point été habituée, et je me trouvais hors de toutes mes mesures ; j’avais à mon sein un démon femelle qui me répétait à toute heure combien son frère vivait largement ; tantôt elle venait prendre mes ordres pour savoir comment je désirais faire peindre mon carrosse, comment je voulais le faire garnir ; tantôt pour me demander la couleur de la livrée de mon page ; en somme mes yeux étaient éblouis ; j’avais maintenant perdu le pouvoir de répondre « non », et, pour couper court à l’histoire, je consentis au mariage ; mais, pour être plus privés, nous nous fîmes mener plus à l’intérieur du pays, et nous fûmes