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MOLL FLANDERS

cet argent m’eût entretenue trois ou quatre ans ; que s’il m’était ôté, je serais dénuée de tout, et qu’il savait bien qu’elle devait être la condition d’une femme qui n’avait point d’argent dans sa poche ; pourtant, je lui dis que s’il voulait le prendre, il était là.

Il me dit avec beaucoup de chagrin, et je crus que je voyais des larmes dans ses yeux, qu’il ne voulait point y toucher, qu’il avait horreur de la pensée de me dépouiller et de me réduire à la misère ; qu’il lui restait cinquante guinées, qui étaient tout ce qu’il avait au monde, et il les tira de sa poche et les jeta sur la table, en me priant de les prendre, quand il dût mourir de faim par le manque qu’il en aurait.

Je répondis, en lui témoignant un intérêt pareil, que je ne pouvais supporter de l’entendre parler ainsi ; qu’au contraire, s’il pouvait proposer quelque manière de vivre qui fût possible, que je ferais de mon mieux, et que je vivrais aussi strictement qu’il pourrait le désirer.

Il me supplia de ne plus parler en cette façon, à cause qu’il en serait affolé ; il dit qu’il avait été élevé en gentilhomme, quoiqu’il fût réduit à une fortune si basse, et qu’il ne restait plus qu’un moyen auquel il pût penser, et qui même ne se saurait employer, à moins que je ne consentisse à lui répondre sur une question à laquelle toutefois il dit qu’il ne voulait point m’obliger ; je lui dis que j’y répondrais honnêtement, mais que je ne pouvais dire si ce serait à sa satisfaction ou autrement.

— Eh bien, alors, ma chérie, répondez-moi franchement, dit-il : est ce que le peu que vous avez pourra nous maintenir tous deux en bravoure, ou nous permettre de vivre en sécurité, ou non ?