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MOLL FLANDERS

Elle se mit à rire de mes scrupules pour me marier, et me dit que l’autre n’était point un mariage, mais une duperie sur les deux parts ; et qu’ainsi que nous nous étions séparés de consentement mutuel, la nature du contrat était détruite, et que nous étions dégagés de toute obligation réciproque ; elle tenait tous ces arguments au bout de sa langue, et, en somme, elle me raisonna hors de ma raison ; non que ce ne fût aussi par l’aide de ma propre inclination.

Mais alors vint la grande et principale difficulté, qui était l’enfant. Il fallait, me dit-elle, s’en débarrasser, et de façon telle qu’il ne fût jamais possible à quiconque de le découvrir. Je savais bien qu’il n’y avait point de mariage pour moi si je ne dissimulais pas que j’avais eu un enfant, car il aurait bientôt découvert par l’âge du petit qu’il était né, bien plus, qu’il avait été fait depuis mes relations avec lui, et toute l’affaire eût été détruite.

Mais j’avais le cœur serré avec tant de force à la pensée de me séparer entièrement de l’enfant, et, autant que je pouvais le savoir, de le laisser assassiner ou de l’abandonner à la faim et aux mauvais traitements, ce qui était presque la même chose, que je n’y pouvais songer sans horreur.

Toutes ces choses se représentaient à ma vue sous la forme la plus noire et la plus terrible ; et comme j’étais très libre avec ma gouvernante que j’avais maintenant appris à appeler mère, je lui représentai toutes les sombres pensées qui me venaient là-dessus, et lui dis dans quelle détresse j’étais. Elle parut prendre un air beaucoup plus grave à ces paroles qu’aux autres ; mais ainsi qu’elle était endurcie à ces choses au delà de toute possi-