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MOLL FLANDERS

— Vous ne pouvez pas, dis-je, sans la plus extrême injustice, penser que j’aie cédé à toutes ces persuasions sans un amour qui ne pouvait être mis en doute, qui ne pouvait être ébranlé par rien de ce qui eût pu survenir ; si vous avez sur moi des pensées si peu honorables, je suis forcée de vous demander quel fondement je vous ai donné à une telle persuasion. Si jadis j’ai cédé aux importunités de mon inclination, et si j’ai été engagée à croire que je suis vraiment votre femme, donnerai-je maintenant le démenti à tous ces arguments, et prendrai-je le nom de catin ou de maîtresse, qui est la même chose ? Et allez-vous me transférer à votre frère ? Pouvez-vous transférer mon affection ? Pouvez-vous m’ordonner de cesser de vous aimer et m’ordonner de l’aimer ? Est-il en mon pouvoir, croyez-vous, de faire un tel changement sur commande ? Allez, monsieur, dis-je, soyez persuadé que c’est une chose impossible, et, quel que puisse être le changement de votre part, que je resterai toujours fidèle ; et j’aime encore bien mieux, puisque nous en sommes venus à une si malheureuse conjoncture, être votre catin que la femme de votre frère.

Il parut satisfait et touché par l’impression de ce dernier discours, et me dit qu’il restait là où il s’était tenu avant ; qu’il ne m’avait été infidèle en aucune promesse qu’il m’eût faite encore, mais que tant de choses terribles s’offraient à sa vue en cette affaire, qu’il avait songé à l’autre comme un remède ; mais qu’il pensait bien qu’elle ne marquerait pas une entière séparation entre nous, que nous pourrions, au contraire, nous aimer en amis tout le reste de nos jours, et peut-être avec plus de satisfaction qu’il n’était possible en la situation où