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Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/67

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MOLL FLANDERS

même qu’il ne me reverrait jamais (et rien que la mort ne pourrait m’être plus terrible), pourtant je ne pourrais jamais entretenir une pensée si peu honorable pour moi et si vile pour lui ; et qu’ainsi je le suppliais, s’il lui restait pour moi un grain de respect ou d’affection, qu’il ne m’en parlât plus ou qu’il tirât son épée pour me tuer.

Il parut surpris de mon obstination, comme il la nomma ; me dit que j’étais cruelle envers moi-même, cruelle envers lui tout ensemble ; que c’était pour nous deux une crise inattendue, mais qu’il ne voyait pas d’autre moyen de nous sauver de la ruine, d’où il lui paraissait encore plus cruel ; mais que s’il ne devait plus m’en parler, il ajouta avec une froideur inusitée qu’il ne connaissait rien d’autre dont nous eussions à causer, et ainsi se leva pour prendre congé ; je me levai aussi, apparemment avec la même indifférence, mais quand il vint me donner ce qui semblait un baiser d’adieu, j’éclatai dans une telle passion de larmes, que bien que j’eusse voulu parler, je ne le pus, et lui pressant seulement la main, parus lui donner l’adieu, mais pleurai violemment. Il en fut sensiblement ému, se rassit, et me dit nombre de choses tendres, mais me pressa encore sur la nécessité de ce qu’il avait proposé, affirmant toujours que si je refusais, il continuerait néanmoins à m’entretenir du nécessaire, mais me laissant clairement voir qu’il me refuserait le point principal, oui, même comme maîtresse ; se faisant un point d’honneur de ne pas coucher avec la femme qui, autant qu’il en pouvait savoir, pourrait un jour ou l’autre venir à être la femme de son frère.