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MOLL FLANDERS

J’y fis la connaissance d’une bonne et modeste sorte de femme, qui était veuve aussi, comme moi, mais en meilleure condition ; son mari avait été capitaine de vaisseau, et ayant eu le malheur de subir un naufrage à son retour des Indes occidentales, fut si affligé de sa perte, que bien qu’il eût la vie sauve, son cœur se brisa et il mourut de douleur ; sa veuve, étant poursuivie par les créanciers, fut forcée de chercher abri à la Monnaie. Elle eut bientôt réparé ses affaires avec l’aide de ses amis, et reprit sa liberté ; et trouvant que j’étais là plutôt afin de vivre cachée que pour échapper à des poursuites, elle m’invita à rentrer avec elle dans sa maison jusqu’à ce que j’eusse quelque vue pour m’établir dans le monde à ma volonté ; d’ailleurs me disant qu’il y avait dix chances contre une pour que quelque bon capitaine de vaisseau se prît de caprice pour moi et me fît la cour en la partie de la ville où elle habitait.

J’acceptai son offre et je restai avec elle la moitié d’une année ; j’y serais restée plus longtemps si dans l’intervalle ce qu’elle me proposait ne lui était survenu, c’est-à-dire qu’elle se maria, et fort à son avantage. Mais si d’autres fortunes étaient en croissance, la mienne semblait décliner, et je ne trouvais rien sinon deux ou trois bossemans et gens de cette espèce. Pour les commandants, ils étaient d’ordinaire de deux catégories : 1o tels qui, étant en bonnes affaires, c’est-à-dire, ayant un bon vaisseau, ne se décidaient qu’à un mariage avantageux ; 2o tels qui, étant hors d’emploi, cherchaient une femme pour obtenir un vaisseau, je veux dire : 1o une femme qui, ayant de l’argent, leur permît d’acheter et tenir bonne part d’un vaisseau, pour encourager les par-