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qu’une appréciation des vices du corps politique à cette époque et un plan détaillé d’amélioration sociale. Toute la révolution française, moins ses folies, est dans ce livre, qui a précédé Locke, Jean-Jacques et Franklin.

On ne comprendrait pas le titre de l’Essai sur les projets, si l’on ignorait que les contemporains de Daniel de Foë, un peu plus modestes que les nôtres, appelaient projets ce que nous appelons progrès. Il n’y a pas plus de déclamation dans ce livre de notre auteur que dans tout ce qu’il a écrit. Daniel n’a pas le génie des mots, la monnaie courante du talent et de la phrase. Il a le génie sterling, celui des idées ; Il faut des siècles pour le réduire en monnaie de billon, le répandre dans la circulation générale, et le faire accepter du peuple. Ce dernier ouvrage, le plus riche de pensées que l’on ait publié depuis le chancelier Bacon, passa tout-à-fait inapperçu.

Les Dissidents, qui, d’après les anciennes lois, non encore abrogées, ne pouvaient occuper de magistrature tant qu’ils restaient fidèles à leur secte, cherchaient à concilier leur ambition temporelle et leur amour du pouvoir avec leur foi religieuse, en se montrant à l’église protestante, sans cesser de professer les opinions de leurs pères et de visiter les chapelles dissidentes. De Foë, trop sévère et trop honnête homme pour se prêter à cette escobarderie si bien d’accord avec l’état moral d’une nation qui n’avait plus foi au serment, et qui ne croyait à rien, écrivit deux pamphlets pour l’attaquer.

La France devenait chaque jour plus menaçante, Guillaume demandait une année ; on la lui refusait : les factions, avec leur logique accoutumée, disaient au roi : « Vous nous défendrez ; mais nous vous refuserons les moyens de nous défendre. » De Foë, toujours maltraité de la fortune et ne désirant que l’indépendance, reprit la plume, et fit ressortir ces absurdités.

Déterminé à ne pas laisser échapper une seule occasion de dire la vérité aux hommes, et de continuer sa folle croisade en faveur de toutes les vérités, de Foë, dans La Plainte du pauvre homme, excellent pamphlet qui rappelle La Bonhomme Richard de Franklin, et qui nous semble l’avoir inspiré, quitte sa polémique habituelle, et se détachant tout-à-fait du ministère qu’on aurait pu le croire disposé à servir, fait retentir les gémissements du peuple contre les dilapidations des grands.

Cependant l’influence de Guillaume ne cessait pas de décroître. Menacé à l’étranger, humilié par son parlement, trahi par ses ministres, il était, dans son palais même, à peu près le seul de son parti. Deux pamphlets éloquents, écrits par de Foë, donnèrent le cri d’alarme, et appelèrent touts les protestants à la défense du pays.

Quand il fut question de reconstituer le parlement, et que les nouvelles élections approchèrent, de Foë publia Les Six Caractéristiques d’un non Membre au Parlement, petit livre populaire qui serait assurément fort bon à publier aujourd’hui, et deux autres Traités dans lesquels il attaque vivement ces marchés, ces achats et ces ventes de siéges parlementaires, dès lors aussi commune qu’ils l’ont été de nos jours.

Guillaume était plus tolérant, plus philosophe, Guillaume était plus libéral que ses sujets : lui seul il défendait la liberté ; il prenait parti pour la raison. On voulait qu’il sanctionnât un billet d’après lequel les Catholiques étaient chassés du royaume, privés de tout emploi, et leurs têtes mises à prix. On lui força la main. Les deux chambres, à la presque unanimité, votèrent ce bill absurde, inhumain et exécrable. Un pauvre moine franciscain, le père Paul Atkenson, fut arrêté, emprisonné, et, après trente années de détention, mourut dans son cachot. La majorité des Protestants anglais applaudissait à ces barbaries, que le roi Guillaume abhorrait, contre lesquelles sont dirigés les pamphlets de Daniel. Jamais roi ne se trouva dans une situation plus affreuse. Il ne rencontrait d’affection sincère chez personne, excepté chez cet obscur écrivain, Daniel de Foë qui le défendit aux dépens de sa fortune et de sa réputation. Les caricatures contre le roi couvraient toutes les murailles ; les théâtres retentissaient d’injures contre la Hollande et les Hollandais. Pour se distinguer, les légitimistes, l’opposition, c’est-à-dire presque toute la masse du peuple, tous les partis combinés se décoraient du nom de véritables Anglais. Alors de Foë, qui n’avait jamais écrit de vers, trouva dans son indignation la verve poétique. Il écrivit Le Véritable Anglais, excellente satire dans laquelle il prouve