Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/226

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Souvent je m’asseyais pour mon repas avec reconnaissance, et j’admirais la main de la divine Providence qui m’avait ainsi dressé une table dans le désert. Je m’étudiais à regarder plutôt le côté brillant de ma condition que le côté sombrer, et à considérer ce dont je jouissais plutôt que ce dont je manquais. Cela me donnait quelquefois de secrètes consolations ineffables. J’appuie ici sur ce fait pour le bien inculquer dans l’esprit de ces gens mécontents qui ne peuvent jouir confortablement des biens que Dieu leur a donnés, parce qu’ils tournent leurs regards et leur convoitise vers des choses qu’il ne leur a point départies. Tous nos tourments sur ce qui nous manque me semblent procéder du défaut de gratitude pour ce que nous avons.

Une autre réflexion m’était d’un grand usage et sans doute serait de même pour quiconque tomberait dans une détresse semblable à la mienne : je comparais ma condition présente à celle à laquelle je m’étais premièrement attendu, voire même avec ce qu’elle aurait nécessairement été, si la bonne Providence de Dieu n’avait merveilleusement ordonné que le navire fût drossé près du rivage, d’où non-seulement j’avais pu l’atteindre, mais où j’avais pu transporter tout ce que j’en avais tiré pour mon soulagement et mon bien-être ; et sans quoi j’aurais manqué d’outils pour travailler, d’armes pour ma défense et de poudre et de plomb pour me procurer ma nourriture.

Je passais des heures entières, je pourrais dire des jours entiers à me représenter sous la plus vive couleur ce qu’il aurait fallu que je fisse, si je n’avais rien sauvé du navire ; à me représenter que j’aurais pu ne rien attraper pour ma subsistance, si ce n’est quelques poissons et quelques tortues ; et toutefois, comme il s’était écoulé un temps assez long avant que j’en eusse rencontré que nécessairement j’au-