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Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/250

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Quant au vieux bouc, je n’en savais que faire : il était si farouche que je n’osais descendre dans sa fosse pour tâcher de l’emmener en vie, ce que pourtant je désirais beaucoup. J’aurais pu le tuer, mais cela n’était point mon affaire et ne répondait point à mes vues. Je le tirai donc à moitié dehors, et il s’enfuit comme s’il eût été fou d’épouvante. Je ne savais pas alors, ce que j’appris plus tard, que la faim peut apprivoiser même un lion. Si je l’avais laissé là trois ou quatre jours sans nourriture, et qu’ensuite je lui eusse apporté un peu d’eau à boire et quelque peu de blé, il se serait privé comme un des biquets, car ces animaux sont pleins d’intelligence et de docilité quand on en use bien avec eux.

Quoi qu’il en soit, je le laissai partir, n’en sachant pas alors davantage. Puis j’allai aux trois chevreaux, et, les prenant un à un, je les attachai ensemble avec des cordons et les amenai au logis, non sans beaucoup de peine.

Il se passa un temps assez long avant qu’ils voulussent manger ; mais le bon grain que je leur jetais les tenta, et ils commencèrent à se familiariser. Je reconnus alors que, pour me nourrir de la viande de chèvre, quand je n’aurais plus ni poudre ni plomb, il me fallait faire multiplier des chèvres apprivoisées, et que par ce moyen je pourrais en avoir un troupeau autour de ma maison.

Mais il me vint incontinent à la pensée que si je ne tenais point mes chevreaux hors de l’atteinte des boucs étrangers, ils redeviendraient sauvages en grandissant, et que, pour les préserver de ce contact, il me fallait avoir un terrain bien défendu par une haie ou palissade, que ceux du dedans ne pourraient franchir et que ceux du dehors ne pourraient forcer.

L’entreprise était grande pour un seul homme, mais une