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Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/322

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Il serait aussi impossible que superflu de narrer la multitude innombrable de pensées qui durant cette nuit me passèrent par la mémoire, ce grand chemin du cerveau. Je me représentai toute l’histoire de ma vie en miniature ou en raccourci, pour ainsi dire, avant et après ma venue dans l’île. Dans mes réflexions sur ce qu’était ma condition depuis que j’avais abordé cette terre, je vins à comparer l’état heureux de mes affaires pendant les premières années de mon exil, à cet état d’anxiété, de crainte et de précautions dans lequel je vivais depuis que j’avais vu l’empreinte d’un pied d’homme sur le sable. Il n’est pas croyable que les Sauvages n’eussent pas fréquenté l’île avant cette époque : peut-être y étaient-ils descendus au rivage par centaines ; mais, comme je n’en avais jamais rien su et n’avais pu en concevoir aucune appréhension, ma sécurité était parfaite, bien que le péril fût le même. J’étais aussi heureux en ne connaissant point les dangers qui m’entouraient que si je n’y eusse réellement point été exposé. — Cette vérité fit naître en mon esprit beaucoup de réflexions profitables, et particulièrement celle-ci : Combien est infiniment bonne cette Providence qui dans sa sagesse a posé des bornes étroites à la vue et à la science de l’homme ! Quoiqu’il marche au milieu de mille dangers dont le spectacle, s’ils se découvraient à lui, troublerait son âme et terrasserait son courage, il garde son calme et sa sérénité, parce que l’issue des choses est cachée à ses regards, parce qu’il ne sait rien des dangers qui l’environnent.

Après que ces pensées m’eurent distrait quelque temps, je vins à réfléchir sérieusement sur les dangers réels que j’avais courus durant tant d’années dans cette île même où je me promenais dans la plus grande sécurité, avec toute la