Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/375

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pouvoir arriver à portée de fusil des Sauvages avant qu’ils me découvrissent, ce que, par ma longue vue, j’avais reconnu chose facile à faire.

Pendant cette marche mes premières idées se réveillèrent et commencèrent à ébranler ma résolution. Je ne veux pas dire que j’eusse aucune peur de leur nombre ; comme ils n’étaient que des misérables nus et sans armes, il est certain que je leur étais supérieur, et quand bien même j’aurais été seul. Mais quel motif, me disais-je, quelle circonstance, quelle nécessité m’oblige à tremper mes mains dans le sang, à attaquer des hommes qui ne m’ont jamais fait aucun tort et qui n’ont nulle intention de m’en faire, des hommes innocents à mon égard ? Leur coutume barbare est leur propre malheur ; c’est la preuve que Dieu les a abandonnés aussi bien que les autres nations de cette partie du monde à leur stupidité, à leur inhumanité, mais non pas qu’il m’appelle à être le juge de leurs actions, encore moins l’exécuteur de sa justice ! Quand il le trouvera bon il prendra leur cause dans ses mains, et par un châtiment national il les punira pour leur crime national ; mais cela n’est point mon affaire.