Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/82

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qui m’avait sauvé la vie, comme je l’ai narré plus haut, mais l’obligeant à disposer de mes biens suivant que je l’avais prescrit dans mon testament, c’est-à-dire qu’il se réserverait pour lui-même une moitié de leur produit, et que l’autre moitié serait embarquée pour l’Angleterre.

Bref, je pris toutes précautions possibles pour garantir mes biens et entretenir ma plantation. Si j’avais usé de moitié autant de prudence à considérer mon propre intérêt, et à me former un jugement de ce que je devais faire ou ne pas faire, je ne me serais certainement jamais éloigné d’une entreprise aussi florissante ; je n’aurais point abandonné toutes les chances probables de m’enrichir, pour un voyage sur mer où je serais exposé à tous les hasards communs ; pour ne rien dire des raisons que j’avais de m’attendre à des infortunes personnelles.

Mais j’étais entraîné, et j’obéis aveuglément à ce que me dictait mon goût plutôt que ma raison. Le bâtiment étant équipé convenablement, la cargaison fournie et toutes choses faites suivant l’accord, par mes partenaires dans ce voyage, je m’embarquai à la maleheure[1], le 1er septembre, huit ans après, jour pour jour, qu’à Hull, je m’étais éloigné de mon père et de ma mère pour faire le rebelle à leur autorité, et le fou quant à mes propres intérêts.

Notre vaisseau, d’environ cent vingt tonneaux, portait six canons et quatorze hommes, non compris le capitaine, son valet et moi. Nous n’avions guère à bord d’autre cargaison de marchandises que des clincailleries convenables pour notre commerce avec les Nègres, tels que des grains de collier[2], des morceaux de verre, des coquilles, de méchantes babioles, surtout de petits miroirs, des couteaux,

  1. Note de Wikisource : mauvaise heure, heure défavorable.
  2. Ici, Saint-Hyacinthe, confondant encore bead avec bed, a traduit tels que des matelas.