Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/163

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Épouvanté, quoiqu’il n’eût pas grand mal, il s’assit à terre en poussant des cris et des hurlements affreux.

Les cinq qui suivaient, effrayés du bruit plutôt que pénétrés de leur danger, s’arrêtèrent tout court d’abord ; car les bois rendirent la détonation mille fois plus terrible ; les échos grondant çà et là, les oiseaux s’envolant de toutes parts et poussant toutes sortes de cris, selon leur espèce ; de même que le jour où je tirai le premier coup de fusil qui peut-être eût retenti en ce lieu depuis que c’était une île.

Cependant, tout étant rentré dans le silence, ils vinrent sans défiance, ignorant la cause de ce bruit, jusqu’au lieu où étaient leurs compagnons dans un assez pitoyable état. Là ces pauvres ignorantes créatures, qui ne soupçonnaient pas qu’un danger pareil pût les menacer, se groupèrent autour du blessé, lui adressant la parole et sans doute lui demandant d’où venait sa blessure. Il est présumable que celui-ci répondit qu’un éclair de feu, suivi immédiatement d’un coup de tonnerre de leurs dieux, avait tué ses deux compagnons et l’avait blessé lui-même. Cela, dis-je, est présumable ; car rien n’est plus certain qu’ils n’avaient vu aucun homme auprès d’eux, qu’ils n’avaient de leur vie entendu la détonation d’un fusil, qu’ils ne savaient non plus ce que c’était qu’une arme à feu, et qu’ils ignoraient qu’à distance on pût tuer ou blesser avec du feu et des balles. S’il n’en eût pas été ainsi, il est croyable qu’ils ne se fussent pas arrêtés si inconsidérément à contempler le sort de leurs camarades, sans quelque appréhension pour eux-mêmes.

Nos deux hommes, comme ils me l’ont avoué depuis, se voyaient avec douleur obligés de tuer tant de pauvres êtres qui n’avaient aucune idée de leur danger ; mais, les tenant là sous leurs coups et le premier ayant rechargé son arme, ils se résolurent à tirer touts deux dessus. Convenus de