Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/320

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sur la tête. Nous avons juré de n’en épargner aucun ; nous voulons extirper cette race de la terre ! » — Et il se reprit à courir, pantelant, hors d’haleine, sans nous donner le temps de lui dire un mot.

Enfin, élevant la voix pour lui imposer un peu silence : — « Chien sanguinaire ! lui criai-je, qu’allez-vous faire ? Je vous défends de toucher à une seule de ces créatures, sous peine de la vie. Je vous ordonne, sur votre tête, de mettre fin à cette tuerie, et de rester ici, sinon vous êtes mort. »

— « Tudieu ! sir, dit-il, savez-vous ce que vous faites et ce qu’ils ont fait ? Si vous voulez savoir la raison de ce que nous avons fait, nous, venez ici. » — Et sur ce, il me montra le pauvre Tom pendu à un arbre, et la gorge coupée.

J’avoue qu’à cet aspect je fus irrité moi-même, et qu’en tout autre occasion j’eusse été fort exaspéré ; mais je pensai que déjà ils n’avaient porté que trop loin leur rage et je me rappelai les paroles de Jacob à ses fils Siméon et Lévi : — « Maudite soit leur colère, car elle a été féroce, et leur vengeance, car elle a été cruelle. » — Or, une nouvelle besogne me tomba alors sur les bras, car lorsque les marins qui me suivaient eurent jeté les yeux sur ce triste spectacle, ainsi que moi, j’eus autant de peine à les retenir que j’en avais eu avec les autres. Bien plus, mon neveu le capitaine se rangea de leur côté, et me dit, de façon à ce qu’ils l’entendissent, qu’ils redoutaient seulement que nos hommes ne fussent écrasés par le nombre ; mais quant aux habitants, qu’ils méritaient touts la mort, car touts avaient trempé dans le meurtre du pauvre matelot et devaient être traités comme des assassins. À ces mots, huit de mes hommes, avec le maître d’équipage et sa bande, s’enfuirent pour achever leur sanglant ouvrage. Et moi, puisqu’il