Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/377

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immédiate de la Providence ; que je devais le regarder comme tel et m’y soumettre ; que, bien que je fusse innocent devant les hommes, tant s’en fallait que je le fusse devant mon Créateur ; que je devais songer aux fautes signalées dont ma vie était pleine et pour lesquelles la Providence pouvait m’infliger ce châtiment, comme une juste rétribution ; enfin, que je devais m’y résigner comme je me serais résigné à un naufrage s’il eût plu à Dieu de me frapper d’un pareil désastre.

À son tour mon courage naturel quelquefois reparaissait, je formais de vigoureuses résolutions, je jurais de ne jamais me laisser prendre, de jamais me laisser torturer par une poignée de barbares froidement impitoyables ; je me disais qu’il aurait mieux valu pour moi tomber entre les mains des Sauvages, des Cannibales, qui, s’ils m’eussent fait prisonnier, m’eussent à coup sûr dévoré, que de tomber entre les mains de ces messieurs, dont peut-être la rage s’assouvirait sur moi par des cruautés inouïes, des atrocités. Je me disais, quand autrefois j’en venais aux mains avec les Sauvages, n’étais-je pas résolu à combattre jusqu’au dernier soupir ? et je me demandais pourquoi je ne ferais pas de même alors, puisque être pris par ces messieurs était pour moi une idée plus terrible que ne l’avait jamais été celle d’être mangé par les Sauvages. Les Caraïbes, à leur rendre justice, ne mangeaient pas un prisonnier qu’il n’eût rendu l’âme, ils le tuaient d’abord comme nous tuons un bœuf ; tandis que ces messieurs possédaient une multitude de raffinements ingénieux pour enchérir sur la cruauté de la mort. — Toutes les fois que ces pensées prenaient le dessus, je tombais immanquablement dans une sorte de fièvre, allumée par les agitations d’un combat supposé : mon sang bouillait, mes yeux étincelaient comme si j’eusse été dans la mêlée, puis je ju-