Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/409

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la merveille du monde, manifesta un vif désir de savoir ce que j’en pensais. Je lui dis que c’était une excellente chose contre les Tartares. Il arriva qu’il n’entendit pas ça comme je l’entendais, et qu’il le prit pour un compliment ; mais le vieux pilote sourit : — « Oh ! senhor Inglez, dit-il, vous parlez de deux couleurs. » — « De deux couleurs ! répétai-je ; qu’entendez-vous par là ? » — « J’entends que votre réponse paraît blanche d’un côté et noire de l’autre, gaie par là et sombre par ici : vous lui dites que c’est une bonne muraille contre les Tartares : cela signifie pour moi qu’elle n’est bonne à rien, sinon contre les Tartares, ou qu’elle ne défendrait pas de tout autre ennemi. Je vous comprends, senhor Inglez, je vous comprends, répétait-il en se gaussant ; mais monsieur le Chinois vous comprend aussi de son côté. »

— « Eh bien, senhor, repris-je, pensez-vous que cette muraille arrêterait une armée de gens de notre pays avec un bon train d’artillerie, ou nos ingénieurs avec deux compagnies de mineurs ? En moins de dix jours n’y feraient-ils pas une brèche assez grande pour qu’une armée y pût passer en front de bataille, ou ne la feraient-ils pas sauter, fondation et tout, de façon à n’en pas laisser une trace ? » — « Oui, oui, s’écria-t-il, je sais tout cela. » — Le Chinois brûlait de connaître ce que j’avais dit : je permis au vieux pilote de le lui répéter quelques jours après ; nous étions alors presque sortis du territoire, et ce guide devait nous quitter bientôt ; mais quand il sut ce que j’avais dit, il devint muet tout le reste du chemin, et nous sevra de ses belles histoires sur le pouvoir et sur la magnificence des Chinois.

Après avoir passé ce puissant rien, appelé muraille, à peu près semblable à la muraille des Pictes, si fameuse dans