Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/443

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que nous en fûmes atterrés au plus haut point ; ceux d’entre nous qui en parlaient le plus modestement, disaient qu’ils étaient dix mille. Là, ils firent une pause et nous regardèrent un moment ; puis, poussant un affreux hourra, ils nous décochèrent une nuée de flèches. Mais nous étions trop bien à couvert, nos bagages nous abritaient, et je ne me souviens pas que parmi nous un seul homme fût blessé.

Quelque temps après, nous les vîmes faire un petit mouvement à notre droite, et nous les attendions sur notre arrière, quand un rusé compagnon, un Cosaque de Jarawena, aux gages des Moscovites, appela le commandant de la caravane et lui dit : — « Je vais envoyer toute cette engeance à Sibeilka. » — C’était une ville à quatre ou cinq journées de marche au moins, vers le Sud, ou plutôt derrière nous. Il prend donc son arc et ses flèches, saute à cheval, s’éloigne de notre arrière au galop, comme s’il retournait à Nertzinskoy, puis faisant un grand circuit, il rejoint l’armée des Tartares comme s’il était un exprès envoyé pour leur faire savoir tout particulièrement que les gens qui avaient brûlé leur Cham-Chi-Thaungu étaient partis pour Sibeilka avec une caravane de mécréants, c’est-à-dire de Chrétiens, résolus qu’ils étaient de brûler le Dieu Scal-Isarg, appartenant aux Tongouses.

Comme ce drôle était un vrai Tartare et qu’il parlait parfaitement leur langage, il feignit si bien, qu’ils gobèrent tout cela et se mirent en route en toute hâte pour Sibeilka, qui était, ce me semble, à cinq journées de marche vers le Sud. En moins de trois heures ils furent entièrement hors de notre vue, nous n’en entendîmes plus parler, et nous n’avons jamais su s’ils allèrent ou non jusqu’à ce lieu nommé Sibeilka.

Nous gagnâmes ainsi sans danger la ville de Jarawena,