Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

seul du navire qui ne le croyait pas mort. À la fin il lui ouvrit une veine au bras, ayant premièrement massé et frotté la place pour l’échauffer autant que possible. Le sang, qui n’était d’abord venu que goutte à goutte, coula assez abondamment. En trois minutes l’homme ouvrit les yeux, un quart d’heure après il parla, se trouva mieux et au bout de peu de temps tout-à-fait bien. Quand la saignée fut arrêtée il se promena, nous assura qu’il allait à merveille, but un trait d’un cordial que le chirurgien lui offrit, et recouvra, comme on dit, toute sa connaissance. — Environ un quart d’heure après on accourut dans la cabine avertir le chirurgien, occupé à saigner une femme française évanouie, que le prêtre était devenu entièrement insensé. Sans doute en repassant dans sa tête la vicissitude de sa position, il s’était replongé dans un transport de joie ; et, ses esprits circulant plus vite que les vaisseaux ne le comportaient, la fièvre avait enflammé son sang, et le bonhomme était devenu aussi convenable pour Bedlam[1] qu’aucune des créatures qui jamais y furent envoyées. En cet état le chirurgien ne voulut pas le saigner de nouveau ; mais il lui donna quelque chose pour l’assoupir et l’endormir qui opéra sur lui assez promptement, et le lendemain matin il s’éveilla calme et rétabli.

Le plus jeune prêtre sut parfaitement maîtriser son émotion, et fut réellement un modèle de gravité et de retenue. Aussitôt arrivé à bord du navire il s’inclina, il se prosterna pour rendre grâces de sa délivrance. Dans cet élancement j’eus malheureusement la maladresse de le troubler, le croyant véritablement évanoui ; mais il me parla avec calme, me remercia, me dit qu’il bénissait Dieu de

  1. Hôpital des fous.