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Page:Deguise - Hélika, mémoire d'un vieux maître d'école, 1872.djvu/61

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HÉLIKA.

vie de guerrier où, comme chef sauvage, j’avais combattu à côté des siens dans les colonies ou à bord de La Brise. Je lui montrai les témoignages de ma valeur que je possédais quand à l’assaut ou à l’abordage, en qualité de chef, je conduisais mes guerriers. Il avait une idée vague du désastre de La Brise et m’en fit redire les détails. Nos cinq années d’esclavage, de misères et de tortures le mirent dans un état d’émotion considérable.

À la fin du récit, il vint affectueusement me presser la main et m’embrassa. Il me demanda la permission de raconter aux passagers et à l’équipage l’histoire de ma vie qui était appuyée sur des preuves irrécusables.

De ce moment, nous fûmes l’objet des prévenances et des égards de tout l’équipage, et si quelquefois le nègre et moi nous mîmes la main à la manœuvre, c’était plutôt pour aider volontairement, car chacun, à l’exemple du capitaine, nous traitait d’une manière tout-à-fait respectueuse et amicale.

Le bâtiment, en passant, devait toucher à Boston. Là je dus me séparer de mon compagnon d’infortune ; non sans avoir offert au capitaine tout l’or que je tenais de ma bienfaitrice, pour qu’il me donnât l’assurance qu’il le rapatrierait dans un voyage qu’il devait faire vers les rives de sa terre natale. Pour moi le chemin de Boston au Canada m’était parfaitement connu.

Au lieu d’accepter mon argent, le capitaine, les passagers, même l’équipage firent une généreuse souscription pour nous deux. Ainsi nous quittâmes-nous après les plus affectueuses expressions d’amitié et de bons souvenirs. Ce fut en me pressant cordialement la main que le capitaine me dit adieu, j’étais devenu son ami dans le voyage.

J’appris, quelques années plus tard, lorsque je le revis par une circonstance toute fortuite et que le bâtiment se trouvait dans le même port de mer où j’étais, qu’il avait effectivement débarqué mon malheureux compagnon d’esclavage sur les rives de sa terre natale.

Le bâtiment, ajoutait-il, était au large. Je fis mettre à l’eau un de mes plus forts canots et le nègre s’y embarqua en pleurant et me témoignant une reconnaissance sans bornes. En mettant le pied à terre, il se prosterna d’abord, embrassa les rivages d’où il avait été exilé, vint baiser la main de chacun des matelots qui l’avaient conduit, puis poussant un cri d’un bonheur indicible, il s’élança vers les bois où ils le perdirent de vue !

Telle fut l’histoire qui me fut répétée par quelques-uns des matelots qui avaient conduit le canot.

Un mois après mon débarquement à Boston j’étais aux Trois-