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HÉLIKA.

« Sur un ordre qu’il donna tout bas, Vergette disparut et revint au bout de quelque temps, escorté de sept à huit hommes.

« C’était ce qu’attendait le juge, car, aussitôt qu’ils furent entrés et qu’il fut certain qu’il n’existait pour lui aucun danger, il était si lâche le misérable, que, se levant du haut de sa grandeur, il prononça lentement : " Attenousse, d’après des dépositions qui m’ont été faites ce matin, par trois hommes respectables de votre tribu, vous êtes accusé de meurtre pour lequel vous venez en accuser d’autres qui, à mon idée, sont innocents ; je suis convaincu d’après leur témoignage, que vous êtes certainement le meurtrier.

" J’ai donc dressé l’ordre de vous conduire à la prison des Trois-Rivières, c’est en cet endroit où vous subirez votre procès, la cour devant s’ouvrir sous peu de jours et les témoins sont assignés par moi pour y comparaître. Vos accusateurs sont Paulo, Rodiuus et Dubecca, ils vous ont vu retirer votre propre couteau du sein de votre compagnon où vous veniez de l’enfoncer, c’est la preuve la plus forte qu’il puisse y avoir contre vous.

" Chacun ici connaît combien grands sont mes pouvoirs, ajouta-t-il en promenant un regard d’importance sur l’auditoire. Gare à vous d’essayer à résister ou à fuir, car je vous fais lier pieds et poings. "

« En attendant Justitia s’exprimer ainsi, Attenousse comprit sans doute à quel homme il avait affaire, car il haussa dédaigneusement les épaules en disant : " Pourquoi donc chercherais-je à fuir comme un vil assassin ? Ce que je désire, c’est d’être confronté avec mes accusateurs. " Les autres sauvages qui l’accompagnaient voulurent protester de l’innocence d’Attenousse et certifier de son bon caractère, en même temps qu’ils s’offraient de prouver la scélératesse de Paulo et de ses complices. D’un geste solennel et impérieux, le juge, comme on le pense bien, s’y refusa, leur ordonnant de laisser la salle et commandant à ceux qu’il avait choisis pour conduire Attenousse de se mettre en route immédiatement. »

Or dans ces temps-là, lorsque l’endroit où l’on avait capturé un incriminé se trouvait éloigné du lieu de la prison, il était conduit d’un juge de paix à l’autre, chacun d’eux étant obligé de commander des hommes pour l’accompagner et le garder jusqu’au prochain magistrat et ces hommes devaient obéir sous peine d’une forte amende ou de la prison.

Mais dans les grands bois où les postes étaient établis à des distances bien éloignées, le magistrat choisissait quatre à cinq hommes qui étaient nourris et payés aux dépens du gouvernement pour remettre le prisonnier entre les mains du geôlier de la prison la plus rapprochée.