Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/156

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vait déployée son hôte pour le faire assister commodément au prêche, il ne put se défendre d’une certaine émotion, qui ne fit qu’augmenter à mesure que le prédicateur développa sa matière.

On imagine facilement ce que put dire le ministre du haut de sa chaire dans les deux premières parties de son exhortation, qui eurent pour objet de faire ressortir l’avantage des deux vertus les plus importantes de la femme dans la vie privée, l’obéissance et la chasteté. Mais quand il arriva au troisième point, où il se proposait de traiter cette question dans sa forme la plus générale et la plus élevée ; lorsque, montant de degré en degré dans la vie sociale, il eut démontré que, quelque poste éminent qu’occupent les hommes, leurs compagnes ne doivent jamais s’écarter sous aucun prétexte de cette soumission, de cette retenue d’esprit qui est l’élément conservateur de la pureté de leur âme ; tout à coup, passant rapidement en revue la vie antichrétienne de plusieurs princes, dont le conseil était sinon présidé par des femmes, au moins lâchement soumis en secret à leurs intrigues, il quitta sans précaution oratoire le langage et le sens positif qu’il avait employés jusque-là, et d’une voix sombre et terrible laissa échapper ces paroles :

« Savez-vous, mes frères, qu’il existe au monde, et même assez près de nous, sur cette terre que nous habitons, une femme vêtue de pourpre et d’écarlate, parée d’or, de pierres précieuses et de perles, tenant à la main un vase d’or plein des abominations et de l’impureté de sa fornication ; horrible breuvage avec lequel les rois de la terre se sont corrompus, et qui a enivré les habitants du monde ? Cette femme, mes frères, c’est la grande prostituée ; elle habite Babylone, et parcourt sept montagnes, assise sur une bête immonde qu’elle mène et dirige à son gré, en la gouvernant avec un sceptre enrichi d’escarboucles. Mais je le vois, mes frères, continua l’orateur en promenant son regard sur l’assemblée, vous vous refusez à l’évidence ; vous croyez que je vous trace le portrait imaginaire d’un monstre qui n’a jamais existé. Détrompez-vous : les paroles que vous venez d’entendre sont celles mêmes de saint