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fort respectueuse, mais aisée, vers mademoiselle de Liron, qui se sentit obligée de rassembler toutes ses forces pour conserver son sang-froid et ne pas laisser fléchir ses genoux.

M. de Thiézac, homme d’esprit et d’expérience, s’aperçut-il ou non de la pâleur d’Ernest et du trouble de mademoiselle de Liron ? C’est ce que l’on ignore, car il eût fallu être bien habile physionomiste pour lire alors sur sa figure ce qu’il ressentait au fond de l’âme.

Quoi qu’il en soit, le prétendant s’avança vers celle dont il désirait captiver la bienveillance, et il y eut de part et d’autre un échange de politesses qui se reproduisit de temps à autre pendant le reste du jour employé à prendre le frais sur le banc de la grande allée.

Le soleil était caché depuis longtemps derrière les montagnes, et l’obscurité commençait à se faire sentir, lorsqu’un domestique vint prévenir que la collation était servie sur table. On se leva ; M. de Thiézac offrit son bras à mademoiselle de Liron, et tandis qu’ils se dirigeaient lentement vers le perron, Ernest fut obligé de rester en arrière, pour aider la marche pénible de son oncle.

Le courage d’un jeune homme de dix-neuf ans, qui laisse celle qu’il aime avec un rival pour assister son aïeul, est d’autant plus méritoire qu’en général il n’est pas apprécié ; et il arrive assez souvent dans ces occasions que l’impassibilité des vieillards semble tourner en malice. M. de Liron, qui n’allait jamais vite, marchait plus lentement encore dans ce moment. Il jetait de temps en temps les yeux sur M. de Thiézac et sur sa fille en ralentissant le pas, pour les laisser pénétrer dans la maison. Sitôt qu’entrés dans le vestibule ils furent masqués par l’embrasure de la porte, M. de Liron s’arrêta tout à coup, et se tournant vers Ernest : — Eh bien ! lui dit-il d’un air tout joyeux, n’est-ce pas un heureux jour que celui-ci ? Car enfin voilà ta cousine mariée ! et d’après ce que nous a dit M. de Thiézac, ton avenir est assuré ; tu vas partir pour Paris ! Comme Ernest, tout ému de ce qu’il venait de voir et d’entendre, s’apprêtait à parler :

— Je me doute de l’émotion que tu éprouves, mon enfant ; mais je n’écoute rien, continua le vieillard avec plus