presque devenue furieuse. « Ah ! mon cher cardinal, dit la princesse de Rossano à Antoine lorsqu’il entra, soyez le bienvenu ; car nous avons grand besoin de vous. — Je doute fort que son éminence abonde dans votre sens, dit Olimpia en s’avançant aussi vers Antoine. Que penser de ces imprudents, de ces fous qui demandent Chigi pour pape ? Chigi qui les méprise tous, qui les ruinera, qui les exilera sitôt qu’il aura le pied sur le trône ! — Mais nous ne le demandons pas, madame, s’écrièrent en même temps et avec impatience les trois princes ; nous vous disons seulement que, s’il est élu, il faudra bien le prendre tel qu’il est. — Et qu’après tout, ajouta Justiniani, cet homme n’est pas si noir qu’on le fait. Moi, je l’estime, je l’aime ; c’est un bon prêtre. — Un vrai cagot ! répondit Olimpia, un moine qui joue la simplicité et affecte le rigorisme pour mieux en imposer. Laissez-le régner un an, et vous m’en direz des nouvelles après... Vous sommes trahis, ruinés, mon cher cardinal, continua à voix basse dona Olimpia, qui était pâle et tremblante de colère. Tous ces gens-là sont autant de vipères que j’ai réchauffées dans mon sein. Je vois bien leur projet..... Cela les arrangerait qu’on m’intentât un procès, qu’on m’exilât, qu’on me mît à mort même, pourvu qu’on leur substituât ce que j’ai amassé... » En parlant ainsi, dona Olimpia pleurait abondamment. « Les ingrats ! disait-elle toujours au cardinal en le poussant à l’écart, c’est pour eux que j’ai sacrifié le repos de ma vie, que j’ai bravé la haine de tous ! et voilà ma récompense ! Ah ! que je suis malheureuse ! »
La princesse de Rossano, à cette dernière exclamation, crut devoir se rapprocher de sa belle-mère pour lui offrir des consolations. Mais dona Olimpia, sans lui témoigner de ressentiment, lui dit d’un ton qui indiquait un ordre : « Laissez-moi, laissez-nous, » et elle demeura seule avec le cardinal.
Elle en eut pour plusieurs minutes à se remettre du trouble où cette scène violente l’avait jetée. « Non ! dit-elle enfin à Antoine, je ne me reconnais plus, je n’ai plus aucun empire sur moi-même... Secourez-moi, conseillez-moi. — Avant tout, madame, je crois devoir vous rappeler à des sen-