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Mademoiselle de Liron seule pouvait rompre ce silence ; elle s’arrêta tout à coup, et parla ainsi :

— Je suppose, Ernest, que vous n’avez pas oublié les protestations d’amitié sincère que vous m’avez données hier, sur ce banc que voilà ? Le moment est venu de me prouver que j’ai eu raison de compter sur vous. Eh ! pensez-y bien : de la conduite que vous allez tenir dépendent votre avenir et le mien. Mon père traite en ce moment de mon mariage, vous avez une occasion de partir demain pour Paris ; partez ! partez ! Ernest, au nom du ciel, partez ! c’est le -dernier conseil que puisse vous donner une amie véritable. Partez !

— Partir ! s’écria Ernest, en laissant échapper un torrent de larmes, partir demain ! Je ne le pourrai jamais ! Dans ce moment une servante s’avança en courant vers mademoiselle de Liron pour lui parler.

— Qu’est-ce ? Que me veut-on ? cria-t-elle de loin avec vivacité.

Monsieur votre père désire vous voir.

— Il suffit ; rentrez, j’y vais.

Elle dit, et retournant brusquement vers Ernest, qui pleurait toujours :

— Ernest, Ernest ! dit enfin mademoiselle de Liron avec une véhémence qui ne lui était pas ordinaire, consentez-vous à partir demain ?

On ne répondit rien.

— Y consentez-vous ? répéta-t-elle.

— Non, répondit le jeune homme en sanglotant.

— Eh bien, adieu ! dit mademoiselle de Liron d’une voix étouffée ; je vous laisse. Mes craintes n’étaient que trop bien fondées ; vous n’êtes qu’un enfant ! Et elle le quitta.

Cependant elle était impatiemment attendue par son père et son futur, qui, comme on sait, venaient de s’occuper des dispositions du contrat de mariage. Dès qu’elle entra, son père s’écria :

— Viens vite auprès de nous, mon enfant, on a besoin de ta présence ; tu t’entends mieux à traiter les affaires que moi, puisque tu surveilles ordinairement les miennes : il est donc juste que tu prennes connaissance de celle-ci, qui t’intéresse