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L'EXPÉRIENCE MYSTIQUE tar

Il faut noter encore qu'une foule d'éléments affectifs de trouble, de remords, de division d'avec soi-même, compri- més et couverts dans la période extatique, se détendent alors.

On pourrait se demander aussi jusqu’à quel point la fatigue ou l'épuisement, produits par une morlification souvent trop violente, concourent à cette dépression. Ils danneraient d’abord les rêves heureux de l’extase, puis les rêves douloureux et ter- ribles de la seconde période.

Enfin, dans bien des cas, l’exagération même de cette dépres- sion nous montre qu’elle est en grande partie l'effet de troubles nerveux ou psychiques. Mais il faut remarquer l’habileté du mystique à exploiter ces tristesses quasi pathologiques et ces désespoirs dans le sens de son mysticisme, à conquérir sa lypé- manie. Sur ce malaise et cette inquiétude liées aux dispositions organiques, il édifie une tristesse morale, affection de l'âme, désirable et utile‘, un saint désespoir sur le mauvais désespoir*.

2° Cet état de dépression condense la vision totale des choses en une intuition négative, comme l’extase la condensait en une intuition positive.

Laissant de côté l'influence certaine que cet état de dépres- sion peut avoir sur la formation d’une intuition de ce genre, il convient de remarquer que pour l'intuitif, qui rassemble l'être en une aperception unique, il ÿy a deux attitudes possibles. Schopenhauer remarquait fort bien que l'intuition mystique oscille entre l’enivrement joyeux et panthéistique de se sentir le centre des choses, l’âme même du monde, et l'attitude ascé- tique de la négation du vouloir vivre. Il y a l'intuition de l’es- sence des choses comme grâce, don gratuit, force libérale, l'absolu de la plénitude, qui par la générosité et la richesse

1. Maino de Biran. Pensées, 128.

2. Mme Guyon. Justifications, II, 338. Cf. Poiret. Théologie réelle : cette tristesse procède proprement de la connaissance qu'on a de soi-même ; on y

voit que nous sommes directement opposés à Dieu et que notre fond est on- tièrement corrompu, 228.