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ŒUVRES LITTÉRAIRES

doute pour être remarqués de nous autres chrétiens. Quand arrive la fin du dernier jour que l’épouse doit passer sous le toit de ses parents, et avant d’aller habiter avec son mari, on la pare ; on lui met sur la tête une espèce de mitre composée d’une quantité de fichus qui s’entassent les uns sur les autres, mais de manière qu’on ne voie passer qu’une très petite partie de chacun. Elle est placée sur une table, assise contre la muraille et aussi immobile qu’un terme égyptien. On lui tient élevées près de la figure des chandelles et des flambeaux pour que toute l’assistance jouisse à son aise de toute la cérémonie de cette toilette. De vieilles femmes font, à côté d’elle, un bruit continuel en frappant avec leurs doigts sur de petits tambours formés avec des parchemins tendus sur des espèces de pots en terre peinte de différentes couleurs. D’autres vieilles lui peignent les joues, le front, etc., avec du cinabre ou du henné, ou lui noircissent l’intérieur des paupières avec le kohl. L’infortunée exposée à ces empressements fatigants ne peut même, chose difficile à croire, ouvrir les yeux pendant cette dernière opération, car ce serait de très mauvais augure. On lui insinue entre les paupières fermées le petit stylet d’argent ou de bois qui sert à les teindre ; enfin, elle est la patiente résignée et la victime offerte en sacrifice à la curiosité de ce public turbulent.

Au bout d’un certain nombre de pratiques qui se rattachent à sa parure, elle est enlevée de cette espèce de tribune comme on ferait d’une statue, et voici le moment de l’entraîner hors de la maison paternelle. A moitié posant sur ses pieds, à moitié soulevée par dessous les bras, elle avance, suivie et entourée de tous les assistants, ilu devant d’elle marchent à reculons, jusqu’à la demeure de son mari des jeunes gens portant des flambeaux. On retrouve ici, comme à chaque pas dans ce pays, les traditions antiques. Rien n’est singulier comme la marche de cette malheureuse qui, les paupières