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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Juliette, tantôt elle s’arrêtait, en entrant, contre un pilier, dans un abattement douloureux, tantôt elle se prosternait en sanglotant, devant la pierre, etc. ; elle arrivait ainsi à des effets très énergiques et qui semblaient très vrais, mais il lui arrivait aussi d’être exagérée et déplacée, par conséquent insupportable. Je ne me rappelle pas l’avoir jamais vue noble. Quand elle arrivait le plus près du sublime, ce n’était jamais que celui que peut atteindre une bourgeoise ; en un mot, elle manquait complètement d’idéal. Elle était comme les jeunes gens qui ont du talent, mais dont l’âge plus bouillant et l’inexpérience leur persuadent toujours qu’ils n’en feront jamais assez ; il semblait qu’elle cherchât toujours des effets nouveaux dans une situation. Si l’on s’engage dans cette voie, on n’a jamais fini : ce n’est jamais celle du talent consommé ; une fois ses études faites et le point trouvé, il ne s’en départ plus… C’était le propre du talent de la Pasta. C’est ainsi qu’ont fait Rubens, Raphaël, tous les grands compositeurs. Outre qu’avec l’autre méthode, l’esprit se trouve toujours dans une perpétuelle incertitude, la vie se passerait en essais sur un seul sujet. Quand la Malibran avait fini sa soirée, elle était épuisée : la fatigue morale se joignait à la fatigue physique, et son frère convient qu’elle n’eût pu vivre longtemps ainsi.

Je lui dis que Garcia, son père, était un grand comédien, constamment le même, dans tous ses rôles, malgré son inspiration apparente. Il lui avait