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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Avant-hier soir, je la rencontrai sur le boulevard ; je venais de faire des visites infructueuses ; elle donnait le bras à une femme en service aussi chez sa maîtresse. Il me prit une forte tentation de les prendre sous le bras. Mille sottes considérations se croisaient dans ma tête, et je m’éloignais toujours délies, en me disant que j’étais un sot et qu’il fallait profiter de l’occasion… lui parler un peu, prendre les mains, que sais-je ?… Enfin faire quelque chose… Mais sa camarade…, mais deux femmes de chambre sous le bras… Je ne pouvais guère les mener prendre des glaces chez Tortoni. Je marchai néanmoins d’un pas plus précipité jusque chez M. H***, où je m’informai de son retour ; puis enfin…, quand il n’était plus temps de les retrouver, je courus sur leurs traces et parcourus inutilement le boulevard.

— Hier, je fus avec Champmartin[1] étudier les chevaux morts.

En rentrant, ma petite Fanny était chez la portière ; je m’installe, je cause une grande heure et je m’arrange pour remonter en même temps qu’elle. Je sentais par tout mon cœur le frisson favorable et délicieux qui précède les bonnes occasions. Mon pied pressait son pied et sa jambe. Mon émotion était charmante. En mettant le pied sur la première marche de l’escalier, je ne savais encore ce que je dirais, ce que je ferais, mais je pressentais

  1. Peintre de portraits, né à Bourges en 1797, élève de Guérin. Ce fut à l’atelier de Guérin que Delacroix se lia avec Champmartin.