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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

l’entends encore, quoique fort éloigné. Ce ramage est vraiment unique, plutôt par les émotions qu’il fait naître qu’en lui-même. Buffon s’extasie en naturaliste sur la flexibilité du gosier et les notes variées du mélancolique chanteur du printemps. Moi, je lui trouve cette monotonie, charme indéfinissable de tout ce qui fait une vive impression. C’est comme la vue de la vaste mer ; on attend toujours encore une vague avant de s’arracher à son spectacle ; on ne peut le quitter. Que je hais tous ces rimeurs avec leurs rimes, leurs gloires, leurs victoires, leurs rossignols, leurs prairies ! Combien y en a-t-il qui aient vraiment peint ce qu’un rossignol fait éprouver… ? Et pourtant leurs vers ne sont pleins que de cela. Mais si le Dante en parle, il est neuf comme la nature, et l’on n’a entendu que celui-là. Tout est factice et paré et fait avec l’esprit. Combien y en a-t-il qui aient peint l’amour ? Le Dante est vraiment le premier des poètes… On frissonne avec lui, comme devant la chose, supérieur en cela à Michel-Ange, ou plutôt différent, car il est sublime autrement, mais pas par la vérité. Come colombe adunate aile pasture, etc. Come si sta a gracidar la rana, etc. Come il villanello, etc., et c’est cela que j’ai toujours rêvé sans le définir, précisément cela. C’est une carrière unique.

— Mais quand une chose t’ennuiera, ne la fais pas. Ne cours pas après une vaine perfection. Il est certains défauts pour le vulgaire qui donnent souvent la vie.