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III
EUGÈNE DELACROIX.

faire ses confidences à ceux qui viendront après lui : rédiger des Mémoires ou laisser un Journal. Les Mémoires offrent ceci de particulier qu’ils sont composés d’ordinaire vers la fin d’une carrière ou du moins dans la plénitude des forces intellectuelles, lorsque déjà l’écrivain a atteint un âge assez avancé pour pouvoir embrasser une longue période de sa vie passée et pour avoir acquis, ne fût-ce que vis-à-vis de lui-même, l’autorité nécessaire à ce genre de travail. C’est à la fois leur avantage et leur inconvénient : leur avantage d’abord, parce qu’ils présentent un ensemble soutenu, et, comme tout ouvrage subordonné à un plan, se font lire plus facilement, jusqu’au point où la lassitude commence à envahir l’écrivain ; leur inconvénient enfin, parce qu’ayant été rédigés avec une pensée bien arrêtée de publication et n’étant en somme la plupart du temps qu’une biographie de leur auteur préparée par lui-même, il y a tout à parier qu’il n’y est point sincère en ce qui le concerne. Ce sont précisément les avantages et les inconvénients opposés qui caractérisent un Journal : la monotonie inévitable, conséquence de sa forme même, l’absence forcée de composition, le laisser-aller inhérent au genre, d’autant plus sensible que l’écrivain a été plus éloigné de toute arrière-pensée de publication, voilà des objections capitales pour certains esprits qui dans un livre prisent avant toute qualité l’ordre et la méthode. Est-il besoin d’ajouter qu’au regard du biographe, ces défauts, en admettant qu’il les reconnaisse pour tels, sont des motifs de s’intéresser à des pages dans lesquelles il cherchera de préférence, sinon exclusivement, la signification psychologique et l’affirmation d’une intense personnalité ?