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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

d’avoir manqué à son régime et qu’il s’éveillait alors très content de lui. Quelle vie de jouissances a donc menée cet homme ! Ce vin et surtout ce tabac étaient pour lui d’une volupté indicible.

Vers quatre heures, au couvent des Augustins avec M. Angrand. Escaliers garnis de faïences. Le chœur des frères en haut de l’église et la pièce longue auparavant, avec tableaux ; même dans les mauvais portraits qui tapissent les cloîtres, influence de la belle école espagnole[1].

Samedi 19 mai. — Au couvent des Capucins. Le Père gardien en nous montrant son jardin nous dit de prendre des fleurs, sinon pour nous, au moins pour les dames. Il ne pensait pas que le jardin du couvent fût digne de notre visite, attendu que le vent avait gâté les pois.

En entrant, cour carrée très simple, images sur les murs et l’église à droite en face. La Vierge de Murillo : les joues parfaitement peintes et les yeux célestes.


  1. De tous les maîtres de l’École espagnole, Goya paraît être celui qui le frappa le plus. De secrets rapports de tempérament existaient entre ces deux maîtres si essentiellement modernes : Goya et Delacroix : un même amour de la couleur, un même sens du côté dramatique de la vie, une même fougue de composition. Les admirables eaux-fortes du peintre espagnol l’attiraient par-dessus tout ; il y retrouvait, idéalisée par le génie fantaisiste du grand artiste, l’image de ces mœurs si exceptionnelles, à propos desquelles il écrivait : « Ç’a été une des sensations de plaisir les plus vives que celle de me trouver, sortant de France, transporté, sans avoir touché terre ailleurs, dans ce pays pittoresque ; de voir leurs maisons, ces manteaux que portent les plus grands gueux et jusrqu’aux enfants des mendiants. Tout Goya palpitait autour de moi. » (Corresp., t. I, p. 172.)