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XXV
EUGÈNE DELACROIX.

rées, s’étaient abandonnées aux rêves illusoires d’un perfectionnement universel, de l’avènement d’une ère de bonheur général. La supériorité de son intelligence lui montre la vanité de tous ces rêves, et sur ce point l’amène à la certitude.

Il semble même, quand il touche à ces questions, qu’il soit un précurseur et qu’il écrive pour notre temps. Il eut sans doute à subir, dans les réunions qu’il fréquentait, dans ses causeries intimes avec George Sand, de longues et fastidieuses dissertations sur le problème social ; nous en trouvons la trace dans ses notes journalières. Le rêve d’égalité qui, avec celui du progrès indéfini, hantait ces cervelles de travers, ne le trouvait pas plus indulgent ; au lieu du progrès, c’est la dégénérescence qu’il constate, comme résultat de ces prétendus perfectionnements. Cette conception si haute et si philosophique de la société le conduit à étudier la question de la « philanthropie ». Profondément convaincu que la véritable charité est celle qui agit individuellement, dans le silence et sans espoir de récompense, d’autant plus noble qu’elle est plus désintéressée, n’obéissant qu’au mobile supérieur de la sympathie humaine, il perce à jour les causes réelles de la philanthropie organisée ; il en pénètre les secrets avec cette infaillible sûreté d’instinct qui sous les dehors trompeurs découvre les mobiles cachés, et quand il parle de ces entrepreneurs de charité, de ces philanthropes de profession, « tous gens gras et bien nourris », il semble prévoir dans toute son extension le charlatanisme dont nous sommes aujourd’hui les témoins.

Ces immortelles duperies sur lesquelles vit la société et qui font le succès de ceux qui savent à point les exploi-