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XXXII
EUGÈNE DELACROIX.

jamais considéré le dictionnaire comme une composition, dans le sens poétique du mot. » Voilà qui nous apparaît net et tranché. Je ne sache pas de meilleur exemple pour rendre l’idée saillante et pour illuminer la pensée du

Delacroix n’aimait pas les Écoles, avons-nous dit, car il les jugeait impuissantes à former de véritables artistes : il ne faisait en cela qu’insister sur une conviction intime et généraliser son cas. Il parlait en homme de génie qui ne conçoit pas d’autre éducateur que lui-même et le développement normal d’une intense personnalité. À toute grande manifestation artistique, quelque degré de raffinement qu’elle atteigne dans son expression, il estimait que la puissance du sentiment et la spontanéité devaient toujours présider ; point d’œuvre d’art digne de ce nom qui ne dérive en dernière analyse de cette double origine. Tout le reste est à ses yeux pur métier, ou, si vous aimez mieux, rhétorique. La rhétorique, il la trouvait partout, non pas seulement dans les livres au elle différencie les gens de lettres et ceux qui écrivent parce qu’ils ont quelque chose à dire, mais encore dans la peinture, où elle remplace l’imagination du dessin et de la couleur par la reproduction servile de la nature ; dans la musique enfin, où elle remplace les idées par des combinaisons d’harmonie plus ou moins habiles. C’est elle qui, d’une façon générale, se substitue à l’imagination chez les artistes dénués d’invention, c’est elle qui conduit à la « manière ». Et ce n’était pas chez lui amour exagéré d’indépendance ; c’était le résultat des exigences d’une personnalité absorbante ; c’était aussi le fruit des observations qu’il avait faites sur les lois qui dirigèrent