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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Lundi 29 avril. — Je ne sais pourquoi il m’est venu la fantaisie d’écrire sur le bonheur. C’est un de ces sujets sur lesquels on peut écrire tout ce qu’on veut.

— Je me suis promené le matin dans le jardin abandonné et livré à la nature des pauvres gendarmes ; leurs petits carrés de choux si bien alignés, leurs treilles, leurs arbres fruitiers, source de consolation et d’un petit produit sensible dans leur misère, sont presque effacés, ruinés par les allants et venants, par le vent, par les accidents de toutes parts ; le vent fait battre les contrevents des fenêtres et achève de briser les vitres. Cela va devenir un repaire d’oiseaux et de créatures sauvages.

Sur le tantôt, promené avec Jenny vers le petit sentier de la colline où j’ai été lire.

Mardi 30 avril. — Sorti vers neuf heures. Pris la ruelle du marquis et marché jusqu’à l’ermitage. En face de l’ermitage, immense abatis ; tous les ans j’éprouve ce crève-cœur de voir une partie de la forêt à bas, et c’est toujours la plus belle, c’est-à-dire la plus fournie ou la plus ancienne. Il y avait un petit sentier couvert charmant.

Pris à droite jusqu’au chêne Prieur. J’ai vu là, le long du chemin, une procession de fourmis que je défie les naturalistes de m’expliquer. Toute la tribu semblait défiler en ordre comme pour émigrer ; un petit nombre de ces ouvrières remontait le courant